Quelques rayons de soleil filtrèrent par la fenêtre et finirent leur course sur le délicat visage d'une jeune descendante d'immigrés russes du nom de Svetlana Linder. Ladite personne ne sut cependant apprécier la beauté de cette matinée. En effet, Svetlana souffrait d'une affreuse gueule de bois, et la lumière qui transperça derrière ses paupières n'eut aucun effet d'émerveillement sur elle. Bien au contraire même, ces pauvres rayons de soleil suffirent à la réveiller et à provoquer chez elle un mal de crâne foudroyant.

Entrouvrir ses yeux était une torture à laquelle elle devait cependant se plier puisque aujourd'hui signait la fin de son congé. Elle reprenait du service pour Lysander… Et elle serait sûrement en retard. Il fallait dire que sa journée de la veille avait été plus mouvementée que prévue… Se battre avec les abrutis du bar de Jeremiah et les tuer sans laisser de trace n'avait pas été une chose aisée.
Le souvenir de Jeremiah éveilla dans sa mémoire un vague souvenir au sujet du barman. Elle avait certainement dût aller picoler dans son bar après.

Avec un grognement, la Servante se releva, faisant glisser la couverture le long de sa peau – détail auquel elle ne fit pas attention, occupée à se masser les tempes. Maudissant le jour qui l'avait vu naître et celui de la veille qui l'avait vu très certainement boire comme un trou, la Linder finit par ouvrir entièrement les yeux et observer la pièce.
Déjà, le chat n'était pas là, ce qui était bizarre car le bestiau appréciait d'habitude de mettre son fessier bien en vu de son nez au réveil. Ensuite, ses vêtements étaient éparpillés au sol d'une manière qui laissait penser qu'ils y avaient été jeté sans grande attention – ça encore, ça passait. Le plus étonnant dans l'histoire en fait était cette bouteille d'eau posée sur sa table de nuit avec un comprimé de paracétamol, et, maintenant qu'elle y pensait, cette couverture qui avait été soigneusement remontée sur elle pendant qu'elle dormait.

Vous avez déjà vécu une soirée un peu trop arrosée, où le lendemain, les souvenirs vous reviennent en flash, comme si vous n'aviez été rien d'autre qu'un témoin de vos actes ? Ce fut exactement ce qui arriva à Svetlana quand elle fit le lien entre le fait d'avoir bu au bar de Jeremiah et les attentions qu'on lui avait laissé pour son réveil. Pas très étonnant que le souvenir du Servant avaient titillé sa mémoire : il faisait partie de la majorité de ce qu'elle avait oublié de la soirée, et qui commençait à lui revenir.
Mi-perplexe, mi-amusée, la russe avala donc le cacheton et but l'eau avec avidité. Elle pensa distraitement qu'il faudrait qu'elle remercie son compagnon de la soirée pour son initiative, rangea cette pensée dans un coin de sa tête. Le plus urgent à présent était de prendre une douche, s'habiller et prendre un café. La jeune femme se leva donc, attrapa des vêtements propres et se dirigea vers la salle de bain.

Ses deux premières tâches de la journée effectuées, la damoiselle alla dans sa petite cuisine qui servait également de salle à manger et démarra la cafetière. Avec des gestes encore un peu lents, elle plaça une capsule et grattouilla la tête de son chat repus ; apparemment, sa conquête avait également pris soin de remplir la gamelle du félin avant de s'éclipser. Peu habituée à ce genre d'attentions, la jeune femme en était autant amusée que gênée.
La boisson prête, la russe prit le temps de la déguster, installée dans un fauteuil qu'elle avait posé face à la fenêtre du salon afin de pouvoir contempler les allées et venues du centre-ville. Elle était de toutes façons en retard, prendre cinq minutes pour déguster sa boisson n'y changerait rien. Lysander se fâcherait, lui remonterait les bretelles, et l'histoire s'arrêterait là.

Ou pas. Une silhouette que la femme ne connaissait que trop bien se tenait bien en vue de sa fenêtre. Des cheveux longs et blancs, l'air enfantin, et le visage… Souriant ? De son maître qui l'observait fixement. Avec une méfiance justifiée, la Linder rendit un moment son regard à Lysander Fawkes, avant de, sans préambules, se lever de son siège et retourner dans la cuisine. Le chat, qui s'était installé sur ses genoux, sauta avec un feulement agacé alors que sa maîtresse mettait l'eau de la bouilloire à chauffer. Le maître allait arriver.

Elle attendit devant la bouilloire que l’eau soit prête, tendant l’oreille pour deviner l’ouverture de la porte d’entrée. Le Chat (puisqu’il n’avait pas de nom) était assis sur un plan de travail, la regardant sortir une deuxième tasse et y déposer dans chaque un sachet de Earl Grey. L’eau fût prête au moment où Lysander Fawkes pénétra dans l’appartement. Sans aller voir son invité, la jeune russe versa l’eau chaude dans la tasse, remua légèrement pour le laisser infuser quelques minutes, histoire de ne pas avoir à affronter son Reion tout de suite. Elle n’était pas le genre de femme à se défiler, mais Lysander était une exception à la règle. Non seulement il était son boss, un Reion Suprême, mais il avait une influence sur elle que leur lien avait créé au fil des années. Décevoir le Suprême l’agaçait, et c’était quelque chose qu’elle avait du mal à appréhender.

 
Il fallut bien aller affronter les yeux froids de Lysander, cependant. La Servante se retourna enfin, et posa sur la petite table en bois les deux tasses de thé et du sucre. Lysander ne disait rien, et elle n’ouvrit pas la bouche non plus. Tout dans l’attitude de la jeune femme démontrait qu’elle était sur la défensive : son attitude fermée, le regard froid, la mâchoire serrée, sa position reculée sur sa chaise. La tension froide qui régnait dans la pièce s’intensifia un peu. Chacun prit une gorgée de thé, Svetlana se brûlant la langue mais prenant garde à ne pas faire de grimace de douleur. Ce ne fut qu’à cet instant que Lysander prit la parole :
« La soirée a été rude je présume ? » demanda-t-il d’un ton agacé.
« Plus reposante que d’autres. » répondit-elle d’un ton qui se voulait neutre.
 
Le Chat se posa sur la table, et Svetlana l’attrapa, le maintenant d’une main contre elle alors qu’elle prenait une deuxième gorgée de thé de l’autre.
« J’imagine que tu as un travail à me confier ? » demanda-t-elle à son tour, une main caressant la tête du Chat qui s’était mis à ronronner, ignorant totalement le duel de froideur auquel se livraient les deux Reions dans la pièce.  Lysander ne se déplaçait en effet qu’à de très rares occasions jusqu’à chez elle, ça faisait partie des règles qu’ils n’avaient jamais eu besoin d’édicter. Svetlana tenait à son espace personnel, et le Suprême n’y venait alors que s’il était convié ou si une tâche importante à leurs projets les attendait. Il n’y avait que la seconde option qui était plausible dans le cas présent.